Dans son livre "Doping - Les surhommes du vélo", Roger Bastide décrit comment le dopage est passé des hypodromes américains aux vélodromes. Extraits :
Le cheval avait précédé l'homme dans les compétitions officielles. (...) Quand commencèrent les compétitions cyclistes les soigneurs soucieux d'améliorer le rendement de leurs coureurs trouvèrent d'excellentes sources d'informations auprès des lads américains exerçant en France (...). Les entraîneurs et propriétaires européens avaient été surpris par les pratiques de ces lads (...) dont les chevaux (...) présentaient à l'arrivée des symptômes anormaux : salivation abondante, respiration et circulation dangereusement accélérées, nervosité excessive. L'on eut la preuve après enquête que ces chevaux avaient été stimulés par l'adsorption de produits chimiques.
"En 1911 une commission établissait les moyens qui permettaient de pratiquer le doping sur les chevaux. (...) Elle dénombrait un certain nombre de moyens chimiques : opium, morphine, héroïne, strychnine, brucine, vératine, caféine, digitaline, quinine." (L'Equipe - 24 mars 1955).
Les soigneurs cyclistes n'avaient que l'embarras du choix. Ce qui était bon pour le cheval devait l'être pour l'homme.
Dans son livre "Doping, les surhommes du vélo", Roger Bastide rapporte les propos du Dr Pierre Dumas. C'était en 1955, il venait d'être nommé médecin du Tour de France. Il le restera de longues années. Extraits :
Et je voyais dans les valises et sur les tables tout un déploiement de flacons, de boîtes de pilules et de suppositoires, d'ampoules et de seringues. Les mains encore grasses de pommade on faisait la piqûre sans procéder à l'aseptisation préalable. Et (...) on me faisait comprendre, toujours avec des formes, que j'étais un intrus.
Les premiers qui m'ont réservé un bon accueil ont été les gars du Sud-Est (...). Ils étaient plein de gentillesse et de rondeur. Ils ne m'ont pas consulté pour un traitement, mais ils m'ont demandé, puisque j'étais médecin, de leur faire des piqûres, avec leurs produits à eux. J'ai été effrayé. Je n'oublierai jamais Apo me montrant la boîte d'un produit qui était, je crois, à base de venin de crapaud. J'ai voulu les mettre en garde : c'est dangereux, inefficace...
- Ecoutez docteur, m'ont-il répondu, nous avons besoin de fortifiants, vous ne savez pas ce que c'est que le vélo ! si vous ne voulez pas nous faire des piqûres, nous les ferons nous-même.
Propos d'Eric Maitrot, rapportés sur nouvelobs.com le 21/01/2004 : "Le problème de fond, c'est qu'à partir du moment où l'on est sportif professionnel, le but est d'être le meilleur. Mais un premier, il ne peut, par définition, n'y en avoir qu'un. Et vu que dans le système actuel, chacun pense que son voisin est dopé, tout le monde se dope pour être sûr de ne pas être handicapé. En résumé, le dopage entraîne le dopage. L'un des grands sujets de discussion des sportifs de haut niveau est d'ailleurs de savoir ce que prend le voisin." Dans le même registre, Paul Kimmage dans son livre Rough ride, décrit la perversion du système de points UCI : "En 1983, dans un effort pour moderniser le cyclisme, la (...) FICP, établit deux nouveaux classements. Le premier concernait les coureurs. Il était basé sur le principe du classement ATP pour le tennis. Chaque événement permettait d'attribuer un certain nombre de points au premier, deuxième, troisième, et ainsi de suite, le nombre de points dépendant de l'importance de l'événement. (...) Les coureurs devinrent plus égoïstes et il ne leur fallut pas longtemps pour s'adapter au nouveau système. Plus vous aviez de points, plus vous pouviez mettre de zéro à votre salaire. Points signifiait argent. (...) Le fait que ce système promeuve le dopage devient évident à la lecture de la liste des courses qui attribuait des points. (...) Prenez (...) Mauléon-Moulin par exemple. Pour les non-initiés c'est une petite course, ne valant que quelques lignes dans l'Equipe et un joli trophée pour le vainqueur. Faux, elle vaut beaucoup plus : des points au classement mondial. Une victoire dans Mauléon-Moulin rapporte autant que de faire 5ème dans Paris-Roubaix, la reine des classiques. Ainsi, à la veille de Mauléon, quand le directeur sportif commence la réunion de préparation en insistant sur le nombre de points à gagner et, dans la foulée vous rappelle qu'il n'y a jamais de contrôle dans cette course, que faites-vous ? Riez-vous en même temps que les autre ou pleurez-vous ? Comment pouvez-vous gagner ? Et toutes ces courses, les "Grand Prix des Chaudières" rapportent des points. Quel système ridicule !""
"Pour avoir de l'argent, les équipes doivent avoir des résultats, sinon, les sponsors nous lâchent. A Saint-Brieuc, notre plus gros sponsor nous a quittés parce qu'on n'avait pas eu de résultats en 1998 alors qu'en 1997 on avait eu sept victoires." Le budget du club est donc divisé par deux pour la saison qui s'ouvre en février prochain. Dans ces conditions, peu de dirigeants peuvent résister à la pression. Quand il faut des résultats et rapidement, il est nécessaire de transformer les coureurs en "machines de guerre".
Jean-Bernard Mest - Directeur technique à l'Union cycliste briochine (Enquête de Muriel Gremillet)
Dans tous les sports, l'argent tient une place de plus en plus importante, reléguant l'éthique sportive au second plan. Dans l'Equipe du 5 janvier 2004, Serge Dassault, PDG du Groupe Dassault et propriétaire du club de football FC Nantes, déclare : "Le FC Nantes est une entreprise commerciale". Plus loin, il précise sa pensée : "[Le rôle du président du club] c'est que l'équipe gagne (...) et que le club gagne de l'argent". Au cas où on ne l'aurait pas bien compris, il enfonce le clou : "L'important (...) c'est que l'équipe gagne et que le club gagne de l'argent".
On le voit, le bel esprit du sport tel que développé par Pierre de Coubertin est bien loin. Et les équipes cyclistes dont les coureurs sont couverts de publicité ne sont certainement pas différente des clubs de football.
"Cette cause de dopage doit cependant être relativisé. En effet, le dopage est aussi répandu à des niveaux où l'argent joue un rôle quasiment nul. Par exemple, Jean-Pierre De Mondenard rapporte dans "Dopage, l'imposture des performances" qu'en 1973, les quatre premiers ud championnat d'Aquitaine des cadets furent déclassés pour un contrôle positif !".
On peut discerner bien d'autres causes de dopage comme la pression familiale ou médiatique ou encore pour la notoriété. Aussi la surcharge du calendrier sportif peut être une cause de la volonté de se doper. Les plus grands noms du cyclisme ont souvent eu affaire à un moment au dopage comme lance Armstrong ou Alberto Contador.